L'histoire est curieuse : Georges Méliès est en train de tourner une scène de rue quand son appareil se bloque pendant une minute. Au développement, il découvre sur la pellicule un omnibus Madeleine-Bastille soudainement mué en... corbillard.
Méliès a magistralement utilisé, sinon inventé, les deux grands types de trucage bien connus : l'arrêt de caméra et la surimpression, il ne fut jamais très prolixe sur la manière dont il les réalisait.
"Arrêt de caméra".
Ce trucage (apparitions, disparitions, substitutions instantanées) est toujours associé à un collage (ou collure...).Il s'agit très généralement d'un collage droit occupant le quart ou le cinquième supérieur de l'image.
Il n'y a pas d'exception à cette règle. Les collages originaux, évidemment effectués sur négatif, sont repérables -sur les posistifs qui nous sont parvenus- au liseré blanc horizontal dû à la diffusion de la lumière que produit le chevauchement des deux parties collées du négatif 35mm nitrate original.
Toute apparition, disparition ou substitution était bien sûr effectuée à la prise, mais remontée en laboratoire sur négatif, ceci pour une raison simple : ce trucage - comme les autres trucages, du reste - ne supporte pas de rupture du rythme. Or l'inertie de la caméra était telle qu'on ne pouvait s'arrêter sur la dernière image du "plan" précédant le trucage, changer décor et/ou personnages, puis repartir sur la première image suivant le trucage, sans avoir une importante rupture de cadence. Etant dans l'impossibilité de s'arrêter exactement au moment où l'on voulait introduire le "truc", on filmait donc un peu plus que nécessaire, et l'on raboutait ensuite, à l'image près, les deux prises de manière à éviter les incongruités temporelles. De plus, le collage permettait de réaliser des trucages qu'un simple arrêt de la caméra rendait impossible. C'est le cas, par exemple, de tous les trucages - apparition, disparition, substitution - "dans le mouvement" : têtes de Méliès s'accrochant aux fils télégraphiques dans Le Mélomane femme se transformant en cuisinier dans Les illusions Funambulesques, etc.
Il y eut donc, dès les débuts du cinéma - dans les films "trucs", en tous cas - chez Méliès comme chez ses concurrents, un fantastique travail de montage. Il suffit pour s'en convaincre de visionner, image par image, un film comme Le Diable Noir, un chef d'oeuvre du genre, qui contient une centaine de collages.
Quittons maintenant apparitions, disparitions et substitutions instantanées, associées à un seul collage, pour nous intéresser aux trucages qui se prolongent dans le temps : les surimpressions.
Surimpressions.
(surimpression simple, multiple, sur fond noir, avec cache, fondu simple, fondu enchaîné, fondu au noir). Ce trucage nécessite un rebobinage de la pellicule pour une seconde impression. Pour des raisons d'économie évidentes - une surimpression ratée obligeant à retourner la scène, souvent très coûteuse, qui la précède -il était réalisé à part, avec évidemment le méme décor et les mêmes personnages, mais généralement immobiles pour éviter des problèmes supplémentaires de repérage lors des raccordements. D'où systématiquement deux collages pour incorporer le trucage dans le film: l'un en début, l'autre en fin de surimpression, effectués comme précédemment.
Il n'est donc pas de trucage sans collage(s), mais la réciproque n'est, bien entendu, pas vraie : les collages originaux de réparation, par exemple, sont relativement fréquents.
Le Mélomane (1903), petite merveille de trucages, est, à juste titre, le plus célèbre film trucs du sorcier de Montreuil. La minutie, la somme de travail qu'ont nécessitées ces quelques cinquante mètres de pellicules, tant sur le plan de la mise en scène que sur celui du montage restent stupéfiantes.
Comme souvent chez Méliès, ce film ne comporte guère qu'un seul type de trucage : ici, la surimpression multiple (sept passages successifs de la pellicule) sur réserve noire, déjà utilisée trois ans plus tôt dans l'Homme Orchestre et dans Un homme de têtes en 1898.
Le principe en est simple. Il repose sur le fait qu'un décor noir n'impressionne pas la pellicule. Dans un premier temps, on filme donc décors et personnages, puis la pellicule partiellement impressionnée est rembobinée dans la caméra et l'on filme alors sur fond noir le personnage ou l'objet que l'on désire faire apparaître sur la réserve noire ménagée à cet effet dans le décor de la première prise.
C'est l'ancêtre de la technique du fond vert !
Georges Méliès explique sa découverte du trucage par substitution :
« Un blocage de l'appareil dont je me servais au début produisit un effet inattendu un jour que je photographiais prosaïquement la place de l'Opéra ; une minute fut nécessaire pour débloquer la pellicule et remettre l'appareil en marche. Pendant cette minute, les passants, omnibus, voitures avaient changé de place, bien entendu. En projetant la bande, ressoudée au point où s'était produite la rupture, je vis subitement un omnibus Madeleine-Bastille changé en corbillard et des hommes changés en femmes. Le truc par substitution, dit truc arrêt, était trouvé ».